Cet enregistrement des messes Mater Patris et Di dadi constitue le premier volet d’une aventure monumentale inédite : l’intégrale des messes de Josquin Desprez, le grand maître de la polyphonie franco-flamande, par Métamorphoses, ensemble de chanteurs solistes internationaux sous la direction de Maurice Bourbon.
Josquin Desprez est à la fois un sculpteur, un architecte de musiques et un grand mathématicien. Au service de l’émotion et du drame…
Sculpteur, il travaille la pierre de la musique vocale dans une infinité de phrasés, inventant sans cesse de nouveaux volumes : envolées lyriques, suspensions aériennes, ornements vertigineux, déclamations hachées... Architecte, il mêle les lignes et combine les ensembles dans de magnifiques édifices. Mathématicien par essence, il s’impose pour ses compositions des « canons », règles techniques obligées, comme c’était l’usage à l’époque dans la musique franco-flamande, d’une complexité qui ne fut égalée ensuite que, deux siècles plus tard, par Johann-Sebastian Bach.
La messe Mater Patris occupe une place à part dans les messes de Josquin, par l’emploi réitéré de passages simples homophoniques (une syllabe par note et simultanée dans toutes les voix), alternant avec les savants mélismes (entrelacements de vocalises) propres à l’auteur. Elle est construite sur le motet à trois voix d’Antoine Brumel Mater Patris et Filia. Contrairement à la messe Di Dadi et à beaucoup d’autres messes de Josquin, elle n’est pas construite sur une teneur et la voix de ténor est traitée comme les autres voix.
La messe Di Dadi, aussi appelée N’auray-je jamais parce qu’elle est construite sur le ténor d’un rondeau du même nom de Robert Morton, est dominée par l’emploi d’une teneur répétitive, confiée le plus souvent au ténor, et exceptionnellement alors baissée d’une quarte, au bassus. Le terme di dadi signifie « des dés » : le début de la voix de teneur est en effet le plus souvent illustrée par deux dés, donnant la proportion, évidemment variable d’un mouvement à l’autre, entre la pulsation de la teneur et celle des autres voix. Fantaisie mathématique éblouissante...
Au service de l’émotion et du drame : la messe Di Dadi présente deux moments exceptionnels, le « Qui tollis peccata mundi », dans le « Gloria », magnifique errance dans le royaume des ombres, et la fin du « Credo », à partir du « Crucifixus », morceau d’anthologie de cinq minutes [à l’écoute ci-dessous] d’une intensité et d’une tension sans cesse croissante qui jette l’auditeur, épuisé et haletant, devant la porte du monument suivant, le « Sanctus ».
Josquin & Venise, titre de ce programme musical, nous a été inspiré par les relations qu’entretenait Josquin Desprez avec le célèbre éditeur vénitien Ottavio Petrucci. Jusqu’à la fin du XVe siècle, les œuvres musicales sont copiées dans des manuscrits à l’usage des cours et chapelles d’Europe. Précurseur de l’imprimerie musicale, Petrucci publie en 1502, 1504 et 1514 trois recueils de messes de Josquin, soit quinze des dix-huit messes du compositeur. Cet hommage est révélateur du talent et de la notoriété de Josquin de son vivant.
Nombre de ces messes sont par ailleurs copiées dans plusieurs manuscrits. Mais les seules sources d’époque contenant les messes Mater Patris et Di Dadi sont les éditions Petrucci qui ont déjà publié en 1501, dans le recueil Odhecaton, le motet Mater Patris de Brumel, œuvre inspiratrice de la messe homonyme de Josquin.
Métamorphoses emploie pour ce programme six chanteurs : un contre-ténor (Christophe Laporte), un ténor aigu (Vincent Lièvre-Picard), un ténor (Eric Raffard), un baryton (Christophe Gautier), un baryton-basse (Maurice Bourbon), une basse (Philippe Roche).
Les deux messes sont écrites la plupart du temps pour quatre voix, parfois pour deux ou trois, exceptionnellement pour cinq (« Agnus 3 » de la messe Mater Patris). Ce nombre permet aux chanteurs un certain confort, grâce aux relais qu’il rend possibles. Mais il autorise surtout des changements de couleurs bienvenus au service de l’interprétation et de la musique, comme par exemple dans l’alternance de quatuors opposés : l’un, dit plus léger, avec contre-ténor, deux ténors et un baryton, l’autre, dit plus lourd, avec un ténor en superius, deux barytons dans les voix centrales, et la basse en bassus.
Toutes les voix sont tenues par des solistes, sauf occasionnellement, ici ou là, pour obtenir certains effets. C’est le cas en particulier de la teneur de la « Di Dadi », toujours confiée à deux chanteurs.
Souhaitons à l’auditeur qu’il partage notre plaisir... Plaisir de l’interprète, empreint de respect, d’avoir le droit d’évoluer au sein de ces pages magistrales...
Maurice Bourbon
Date de publication : lundi 25 décembre 2006
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